Article 2
Du monde lagunaire languedocien aux calanques provençales animées de barcasses, l'oeuvre de Lina Bill, intrinsèquement méditerranèenne, s'insère et s'ancre dans une réalité provinciale dépourvue de toute velléités parisianistes.
Exécutée et calquée pour et sur le goût officiel des amateurs aisés d'une époque et d'une région, bien enlevée avec sa délicatesse et sa discréssion dans les accords, ses compositions fermements structurées, sa robuste harmonie linéale et ses tonalités posées avec une patiente exactitude, cette peinture jamais vulgaire, bien que parfois racoleuse,évite l'écueil de l'anecdote, des coloris trop flatteurs, du décor trop déclamatoire et des arrangements pittoresques, pour un souci constant de véridicité photographique que d'aucuns appelaient alors Sincérité. Cette peinture d'un angélique pleinairiste à l'exception de quelques raccords ou copies alimentaires d'atelier-pèche paradoxalement par ce qui constitue en partie ses qualités: L'absence de rage de vivre, de regard scrutateur, d'humour, de causticité, de constats ethnographiques et de folklore.
Placide et pondéré, avec une phobie évidente de la violence, dépourvu de tout cataclysme intérieur, LINA BILL va, pendant 60 ans, chasser de son oeuvre: l'insolite, l'étrange, le surnaturel, le cocasse, le brouhaha d'un marché méridional, le vacarme du port de Toulon, l'effervescence de dockers hauts en couleur et riches en décibels ou le chatoiement lugubre d'une procession de pénitents au Mont-Ventoux, pour ne retenir de la vie que la sérénité benoite de quelques bétous à l'encrage sur eaux calmes ou la mièvrerie d'un coucher de soleil orange dans l'Esterel rouge. Cette conception séraphique de la nature-reflet d'une appétence naturelle de douceur et de calme lui fera exclure de ses paysages méditérranéens : éléments déchainés, mistral, tramontane et tempêtes en mer.
Inféodé à rien, quoique non affranchi de l'académisme, insensible à la révolution atmosphérique engagée par Monet, à l'écart des influences, des côteries et des modes, rebelle aux osmoses et imperméable aux promiscuités - à celle d'un Hurard avec sa pâte triturée à la Monticelli, d'un Lesbros tout à tour impressionniste, nabi, pointilliste, à celle du félibien GRIVOLAS et de ses thèmes ethnographiques- Lina Bill a surement pris, pour sa notoriété posthume, " la mauvaise sente dans les alliers de l'Art ". Les merveilleuses et angoissantes rectitudes de son inspiration et de son faire ne lassent pas de surprendre et susciteront encore bien des questions. Elles ne justifient, ni excusent pour autant, son rejet et le mépris dans lequel il était verrouillé.
Textes de Monsieur Jean Lepage conservateur au Musée d'Art et d'Histoire de Narbonne- Palais des Archevêques 1985.